Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais qui ne jaillissait du fait exclusif de la présence de personne.

M. de Maulévrier, qui connaissait la puissance que cette femme glacée exerçait sur elle sans grand combat, ne s’étonnait point de cette conduite. Il savait bien que, dans toutes les hypothèses, elle ne lui donnerait jamais le spectacle de son dépit, et que, pour en saisir la trace et en tirer le parti qu’il espérait, il aurait besoin de toute sa finesse d’observation, de toute la pénétration de son coup d’œil.

Il savait qu’il jouait un jeu hasardeux, difficile, qu’avec des femmes d’une civilisation raffinée l’amour ne ressemble plus guères aux bucoliques des premiers temps.

Du reste, M. de Maulévrier, en allant plus rarement chez Mme de Gesvres, devait rassurer la tendresse alarmée de Mme d’Anglure ; c’était comme une preuve ajoutée à toutes les assurances qu’il lui donnait de son amour, et qu’elle n’acceptait qu’en doutant encore. À dire vrai, sa jalousie eût-elle été cent fois plus inquiète, et cent fois plus grand l’espèce d’effroi que lui causait cette grande marquise, d’une beauté si bien reconnue et d’une coquetterie dont le monde racontait des choses effroyables, elle ne pouvait pourtant ne pas sentir un mouvement de joie et d’orgueil en voyant Maulévrier la préférer, elle que le chagrin avait tant changée, à cette marquise du démon.