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désira parfois être aimée de l’amant de son amie, c’est qu’elle se trouvait bien à plaindre de se voir privée d’un bonheur qui n’était pas chose si rare, sans doute, puisque Mme d’Anglure, qu’elle jugeait de si haut, l’éprouvait ; et c’était d’ailleurs bien moins de la femme qu’elle était jalouse que de l’amour.

Cet amour, elle l’avait cru une ressource, une dernière ressource contre l’ennui de sa vie ; mais, puissante à le faire naître, elle s’était trouvée impuissante à le ressentir. Si ses coquetteries avaient rendu M. de Maulévrier infidèle, hélas ! qu’y avait-elle gagné ? Femme chez qui un esprit mûri prenait insensiblement la place d’un cœur qu’un sang brûlant n’avait jamais gonflé, espèce d’âme étrange, mais qui, dans les sociétés comme la nôtre, tend chaque jour à devenir plus commune, sa misère tenait à ses qualités mêmes. Mme d’Anglure, qui avait en tendresse ce qui lui manquait en intelligence, pouvait-elle se douter de cela ?

M. de Maulévrier avait cessé de lui écrire depuis qu’il allait chez Mme de Gesvres. C’en était assez pour qu’un doute affreux s’élevât dans l’âme de la comtesse, et pour qu’elle s’en vînt en poste à Paris, et jusque chez Mme de Gesvres, voir, par ses yeux, si elle était réellement trahie.