Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chats gourmands, qui fourrent jusqu’à leurs pattes dans la jatte pour mieux boire : dans l’avidité de son bonheur, il empêcha Mme d’Anglure de se montrer aussi souvent dans le monde ; et il eut tort, car le monde doit être le premier amant d’une femme du monde, et si elle en a jamais un autre, il ne doit venir que bien loin après. Comme la comtesse aimait M. de Maulévrier avec la soumission de cette courtisane amoureuse qui mettait le pied de son amant sur son sein, nu, comme elle adorait ses moindres caprices, elle aurait fini par ne plus aller chez personne et à vivre follement pour lui seul, si Mme de Gesvres, avec qui elle avait toujours été fort confiante, ne lui eût fait comprendre qu’en agissant ainsi elle s’affichait et donnait contre elle aux autres femmes des armes dont elles ne manqueraient pas de se servir.

Et l’expérience de la marquise ne l’avait point trompée ; son conseil fut extrêmement utile à Mme d’Anglure. En dépit des nombreuses différences qu’il y avait entre ces deux femmes, opposées presque en toutes choses, elles se voyaient assez souvent. Mme d’Anglure allait beaucoup chez Mme de Gesvres. Mme de Gesvres lui avait toujours montré une bienveillance pleine de franchise et d’appui. Jamais elle n’avait partagé les petites jalousies de ces jolies créatures, moitié abeilles et moitié vipères, qui