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l’a déjà vu, un oisif comme Raoul d’Anglure, mais un oisif d’une aristocratie plus relevée dans les habitudes de sa vie. Il préférait la société des femmes à celle des hommes, auxquels il adressait rarement la parole ; il ne détestait pas les esclavages de la toilette, et n’eût pas prostitué sa bouche au narghilé même du sultan. Parce qu’il n’aimait pas à courir toute la journée, bride abattue, comme un jockey, on l’accusait d’être un efféminé, et les amis de Raoul l’appelaient en riant Sardanapale. Indépendant, au milieu de Paris, comme le vent dans les bruyères, et ne sentant pas l’affreux besoin d’être riche, il pouvait, si cela lui plaisait, s’engloutir tout vivant dans l’amour d’une femme du monde, ce dévorant passe-temps, pour un homme, qui eût anéanti l’âme de Bonaparte lui-même s’il n’avait pas eu le bonheur d’aimer une femme entretenue, à une époque qui était un pêle-mêle social.

Mais les misères du temps présent avaient tué à la mamelle l’ambition de M. de Maulévrier, et son orgueil était moins grand que sa vanité. Aussi, à force de regarder ces cheveux feuille morte, et ce cœur d’épaules qui donnait une grâce si tombante à la robe de Mme d’Anglure, il se dévoua encore une fois à ce culte terrible qu’il avait déjà pratiqué, l’adoration d’une femme de naissance et de monde. Seulement, empressons-nous de le dire, Mme  d’An-