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sceptiques pour tout ce qui n’est pas leur miroir, Caroline d’Anglure était à peine jolie : ce n’était qu’une blonde bien blanche ; mais toutes les blondes ne le sont-elles pas ? Comme les artistes, qui, plus francs ou plus sensibles aux effets de la couleur, étaient fanatiques de l’éclat limpide et doux qu’épandait la fraîcheur pâle de la comtesse, elles ne voyaient pas que tout en cette adorable enfant s’arrêtait timidement à la nuance, depuis le rose indécis de la bouche jusqu’aux larges prunelles gris de perle de ses beaux yeux, depuis les reflets bronzés de ses cheveux tordus sur sa tête jusqu’aux gouttes d’or fluide dans lesquelles l’extrémité de ses longues paupières semblait avoir été trempée par la main légère du caprice. S’imaginant sans doute qu’il n’y a point de mois de mai aux bougies, les imprudentes approchaient, sans trembler, leurs épaules céruséennes des touffes de lys irisées et diaphanes qui s’épanouissaient au corsage de Caroline comme aux bords d’un charmant vase antique, tout svelte et tout pur, et elles ne manquaient jamais de se dire entre elles, quand la comtesse arrivait quelque part : — « Ne trouvez-vous pas que la grande fraîcheur de Mme d’Anglure se passe un peu ? »

Du reste, elles avaient décidé souverainement qu’elle avait l’air bête, et vraiment la pauvre Caroline, qui avait été élevée à la campagne, ou plutôt qui n’avait pas été élevée du