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d’une valse soit dans des causeries à mi-voix, pour qu’ils allassent peut-être s’en vanter avec impudence à leurs bayadères d’Opéra… Oh ! si les hommes savaient quelles sont les méprises de cœur des jeunes filles qui vont dans le monde, ils ne voudraient à aucun prix de ces virginités grossières. Ils n’en voudraient ni pour maîtresses ni pour femmes, et ils les répudieraient toutes, autant au nom de la fierté que de l’amour !

« Je traversai ce qu’on appelle les plus belles années de ma jeunesse dans cet enthousiasme d’un jour qui sont des hontes cuisantes le lendemain. Je ne me sentais pas le courage de livrer ma vie à ces hommes auxquels je me reprochais d’en avoir donné un jour. La vanité se vengea de mes dédains en m’accusant de vanité. Hélas ! la vengeance de ces petites âmes blessées, je l’accomplis moi-même sur moi. J’avais soif d’amour et j’en manquais. J’attendais. Attendre, c’est presque toujours la vie entière. Mais le désespoir d’attendre me prenait violemment à la fin ! Si jeune, si forte, si puissante, je me demandais si la vie ne m’échappait pas dans tous ces jours qui se détachaient, un à un, de moi sans aimer. Moment cruel que les femmes connaissent ! Les jours perdus fuient, et laissent un regret qui n’est pas même un souvenir. L’âme a d’étranges détresses. On dit comme la Folle : « ce sera pour demain, » et demain vient et passe, mais non le demain que l’on souhaite. Moins heureuse que la Folle, on pense à hier qui trompa, et la foi au lendemain s’affaiblit chaque jour davantage. Ah ! ce n’est pas toujours la joie d’être belle qui fait jeter sur la glace ce long regard que vous savez. Souvent est-ce plutôt la mélancolie qui empêche de l’en arracher. Nous, que la beauté a tant de fois égarées, nous avons une horrible