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avec Camille, un jour, dans une promenade silencieuse. Ce jour-là, elle pleura comme lui, et ni l’un ni l’autre ne se demanda pourquoi les larmes muettes dont il était témoin. Nul baiser ne les essuya, et ils ne détournèrent pas le visage pour mutuellement se les cacher. Toute question était inutile. Ils s’étaient aimés, ils avaient vingt ans et à peine un mois de mariage. Quelle était la plus malheureuse de ces jeunes créatures, — de celle qui ne se savait plus aimée, ou de celle qui sentait ne pouvoir plus aimer désormais ?…

Mais Allan ne pouvait se détacher aussi vite de cette vie sensible qui tarissait en lui et il essayait de se donner le change, quoiqu’il ne se rejetât pas à l’amour : « Soyons, — disait-il à Yseult avec laquelle il passait une partie des journées, pendant lesquelles il oubliait sa femme qui ne descendait plus que rarement au salon, — soyons du moins amis par la pensée, si nous ne pouvons plus l’être par le cœur. Traversons la vie solitaires, sans rien lui demander de ce qu’elle ne nous a pas donné. Jugeons-la sans lui reprocher nos espoirs trahis. Je veux accepter comme toi, Yseult, ce détachement de toutes choses qui s’est fait plus tôt et plus complet en nous que dans le reste des hommes. Marchons comme deux frères d’armes, à travers la mêlée humaine, sous le froid acier de nos armures trempé dans les angoisses de la vie, et restons amis et camarades du même malheur. Le veux-tu ?… Que je t’aie aimée, Yseult, que tu aies été pour moi ce que le monde appelle une maîtresse, qu’importe ? Que tu soies la mère de Camille, qu’importe encore ? Dominons ces liens brisés dans lesquels nos âmes n’ont pu vivre. Laissons à d’autres, plus heureux que nous, le respect de la famille et la reli-