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cœur d’Allan. Il n’acceptait pas les espérances de Camille. Quoique venant de la femme aimée, elles ne lui étaient pas imposées par elle. Instruit par le peu de durée de son bonheur il priait pour que l’amour ne s’éloignât pas aussi après, et peut-être ce modeste vœu d’un cœur épuisé était-il encore une demande trop ambitieuse.

Camille lui raconta ce qui s’était passé chez sa mère. Son âme attentive et troublée pesa sur tous ces détails. Il vit qu’Yseult ne s’était pas démentie, et qu’il lui avait fait outrage quand il avait tremblé pour elle. Il admira une fois de plus cette femme, sublime de possession d’elle-même, sur laquelle ne passait jamais le plus léger trouble… Ce qu’il connaissait d’Yseult et ce que Camille en ignorait, lui faisait porter sur Yseult un jugement qu’il n’exprimait pas. « Ma mère est bonne, — disait Camille, — et elle a été généreuse. » Mais Allan savait que la générosité d’Yseult était plus haut placée que dans la poitrine. C’était l’entente de la passion éprouvée, l’absolution de l’esprit à la nature humaine dans ce qu’elle a de plus involontaire, et l’impartialité de l’Histoire.

Ce qu’il y avait de décharné dans la sensibilité de madame de Scudemor, était précisément ce qui constituait sa triste originalité. C’était toujours la même attitude, le même regard, la même femme, si ce mot de femme n’impliquait pas tout ce qu’il y a de plus mobile ici-bas. Aussi, pour celles qui lisent cette histoire, cette Yseult toujours à la même place, ce caractère autrefois passionné mais devenu pur et froid comme l’albâtre sur lequel les jours ne posaient même pas leurs nuances éphémères, pourrait bien n’être que d’un assez médiocre intérêt. Il n’y avait, en effet, rien d’inattendu en Yseult, rien n’étant