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Les domestiques du château ne s’étonnaient point de l’intimité de ces deux jeunes gens, qui avaient toujours vécu ensemble et entre qui rien ne rappelait qu’ils ne fussent le frère et la sœur.

Un matin, comme Allan descendait au salon espérant qu’à cette heure Camille ne serait pas levée et qu’il pourrait sortir seul pour aller courir dans la campagne, il la trouva assise dans l’embrasure de la fenêtre où elle avait l’habitude de travailler. Un souffle matinal, plein de roses lueurs, entrait par cette fenêtre ouverte et faisait comme une auréole à ce visage défait qui avait alors la nuance de la tenture feuille-morte du salon. Elle révélait, à cette riante lumière du matin, les désordres d’une nuit agitée. Ses yeux éteints étaient enflés par l’insomnie. Allan tressaillit en l’apercevant.

— Tu ne me croyais pas ici, Allan ? — lui dit-elle sans se lever, pendant qu’il s’approchait d’elle et lui déposait au front un baiser.

— Est-ce le baiser du bonjour ou de l’adieu ? — continua-t-elle avec amertume. — Allons ! donne-le-moi bien vite, et puis va-t-en. N’est-ce pas là ce que tu veux ?…

— Que tu es amère, Camille ! — répondit tristement Allan, — crois-tu donc que je veuille te fuir ?

— Non, je ne le crois pas ! — et son sourire était encore plus amer que ses paroles ; — j’en suis sûre plutôt. Je te gêne, je te fatigue, je t’ennuie, tu es las de moi. Ose me le nier ! Va, tu ne le saurais pas toi-même, tu te ferais illusion encore, que je ne douterais pas du malheur de ma vie. Je ne te reproche rien ; ce n’est pas ta faute, mais tu ne m’aimes plus !

— Je ne t’aime plus ! Camille, — reprit Allan en s’as-