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inextinguible et affreux, et toujours suivi d’un remords d’autant plus déchirant que l’incorruptible vue de l’esprit ne lui manquait pas ; mais ce désir et ce remords, attachés de front dans son âme comme une double torture, se combattaient et se résistaient tous les deux.

Camille ignorait ces douleurs. Elle ne souffrait que des impuissances de la passion, qui donne toujours moins qu’elle n’avait promis. Pour un esprit de la nature du sien, humain, fini, et d’une forte attache à la réalité, cette passion devenue adurante et sèche la jetait parfois dans une espèce de démence sombre. Souvent elle disait à Allan des choses étranges… Elle lui demandait pourquoi il n’était pas son frère tout à fait. Elle s’appelait, dans certains moments, son incestueuse sœur. Il semblait qu’avec ce mot sous lequel les législations ont mis un crime, elle aiguillonnât ses transports. Quand la passion n’a plus rien qui l’exalte, elle rêve du crime. Peut-être, dans ce monde déchu, y a-t-il dans la pensée du crime une parenté insaisissable avec la pensée du bonheur ?

Un des résultats de cette situation dans la durée d’un sentiment, c’est de rendre exigeant, méfiant et amer. Ces exigences ne s’articulent pas, il est vrai ; ces méfiances vont plus à la destinée qu’à la personne ; les amertumes ne quittent pas le cœur pour monter plus haut ; mais elles existent. Ulcération solitaire de l’égoisme, qui finit par envahir ce que l’on croyait avoir de puissance de dévouement. Qu’alors la plus légère des circonstances vienne effleurer une de ces méfiances silencieuses, l’âme vit dans une disposition tellement souffreteuse et tellement chagrine qu’elle en est immédiatement bouleversée. Ce qu’on ne s’avouait pas, on se le dit. L’existence actuelle se mo-