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quittâtes plus. Le solitaire devint presque un dandy. Me diriez-vous bien, mon sauvage rêveur, combien vous avez dansé de contredanses chez l’ambassadeur de Naples ?

Certainement il se jouait une fanfare dans cette gaîté douce, — une fanfare pour les échos du cœur d’Allan. Sons de victoire longtemps attendus, et qui constataient une défaite dont il était intérieurement humilié.

— Eh, mon Dieu ! — continua-t-elle, — on dirait, mon enfant, que vous êtes honteux d’aimer le monde, comme si vous n’aviez pas vingt ans ! Aimez-le, allez, et d’autant plus que vous ne l’aimerez pas toujours. Écoutez ! — ajouta-t-elle en se penchant vers lui et lui prenant la main pour l’attirer sur la causeuse, — je veux que vous me trouviez bien aimable aujourd’hui.

Et elle souriait avec une grâce un peu coquette, mais adorable. L’élégante simplicité de ses manières était irrésistible. Camille releva la tête et oublia sa broderie, en souriant aussi sous l’impression du charme de sa mère dans certains moments. Chose admirable que ces deux sourires face à face, l’un juvénile, de nacre et de pourpre, l’autre qui n’était plus, hélas ! que spirituel.

— Si vous avez été assez généreux, mon ami, — reprit-elle, — pour vous enterrer tout un immense hiver aux Saules, je le suis trop pour accepter un pareil sacrifice. Je ne vous exilerai point de Paris et de ses fêtes. Retournez-y : je vous le permets, je vous en prie, je le veux même. Retournez-y. Écrivez-nous, et revenez au printemps nous raconter vos plaisirs.

— Je vous remercie, — fit Allan avec un embarras visible, — mais je tiens beaucoup à vous prouver que je n’aime pas autant le monde que vous le supposez ; du moins