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plus beau, on n’en reconnaît pas la trace. Ce jeune homme, ce soir-là, semblait le Génie pensif de la Solitude en personne. Seulement, s’il avait cru la trouver là, son espérance fut trompée. Une voix, plus légère et plus pure que le flot d’air qui l’apporta, prononça deux fois le nom, étranger à ce pays, d’Allan. Si la rosée faisait du bruit en tombant dans le calice de la fleur, elle aurait cette douceur céleste.

Cette voix devait appartenir à un être encore plus immatériel que la femme, à une enfant destinée à être femme un jour, à la blanche aube qui allait devenir une aurore. C’était la voix d’une petite fille. Hélas ! pour peu que la main gourde de l’homme ait touché aux cordes de l’instrument merveilleux, il n’a plus de retentissements pareils !

Et l’enfant de cette voix accourut près de celui qu’elle avait appelé Allan, et, lui mettant la main sur l’épaule et n’y pesant non plus qu’un oiseau :

— Voyez ! — dit-elle avec essoufflement. — Oh ! j’ai bien couru pour l’avoir, mais enfin je l’ai prise, la bleue demoiselle. Voyez, Allan ! Est-elle d’un assez beau bleu ?…

Et elle entr’ouvrit avec précaution les doigts de son autre main pour montrera Allan tous les trésors de sa conquête, mais le jeune songeur, avec la distraction stupéfaite de quelqu’un qui s’éveille, avait retiré son front du creux de ses mains où il l’avait plongé, et il semblait ne rien comprendre à ces joies d’enfant qu’il avait oubliées, quoiqu’il ne fût qu’un adolescent encore.

Et l’enfant, voyant la maussade indifférence d’Allan pour le triomphe dont elle était si joyeuse, s’arrêta dans la brillante énumération des qualités de sa captive à l’effilé corsage d’azur. Pauvre et charmante torturée qui se débat-