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supériorité ne servait à rien ici-bas [1], et que pour avoir action dans ce monde au nom de la Vertu même il fallait descendre, amère vérité qui écrasait douloureusement l’esprit du Philosophe et qui glissa sur celui du Poète. Le soleil venait de tomber dans la mer incendiée de ses feux. Les brises apportaient ce parfum caché dans les vagues, frais et pénétrant et ineffable, digne de la végétation inconnue du fond des eaux. Les goëlands criaient sur les pics des brisants, et le ciel, chargé de nuages amarantes et orangés vers les bords, semblait folâtrer avec les flots. — Ce spectacle avait emporté l’esprit de Somegod. Le sublime enfant venait d’oublier la désespérante vérité dont il avait entrevu la lueur. Altaï, qui respectait la Poésie comme une fille de Dieu, ne le tira pas de sa contemplation silencieuse. Tel qu’un homme dont la sandale est plus usée que le courage, il descendit la falaise, sans abatte-

  1. Quand il écrivit ces pages, l’auteur ignorait tout de la vie. L’âme très enivrée alors de ses lectures et de ses rêves, il demandait aux efforts de l’orgueil humain ce que seuls peuvent et pourront éternellement — il l’a su depuis — deux pauvres morceaux de bois mis en croix.
    Jeudi saint, 18 avril 1889.
    J. B. d’A.