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demeure pas sur ces sommets et le moindre souffle me remporte.

« Ô toi à qui rien n’échappe, ô Altaï ! as-tu deviné que je partirais ? Tu n’as jamais eu grand courage. Tu n’accueillais pas l’espérance que j’osais te donner, tu m’as toujours intérieurement méprisée, quoique ce mépris fût doux et bon ! La Nature et vous, hommes incompréhensibles, ne me suffisaient déjà plus. Altaï, toi qui aurais pu t’emparer si violemment de tout mon être, toi qu’avoir vu grave et fier au milieu des autres hommes, usés du frottement des caresses, m’attacha à toi comme si j’avais été jeune et enthousiaste, pourquoi as-tu replié sur ta poitrine ce bras qui aurait servi à me soutenir ?… Hier, quand je regardais ces sveltes et brunes filles, les chevrières de la montagne, après m’être assise sur le vase de cuivre où elles ont enfermé le lait écumant, voyais-tu que je m’ennuyais ? Au sein de ce groupe de femmes jeunes, vigoureuses, de contours purs et arrêtés, sustentées de soleil et d’indépendance, cette généreuse nourriture qui les rend si fortes et si belles, n’as-tu pas senti la différence qui séparait de ces filles debout et à la