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ô femme ! la lune surgit là-bas et nous atteint de ce rayon qui vient de nous éclairer tous les trois. À la lueur qui lisse les marbres où le temps laissa son empreinte, mais qui ne rajeunit pas les visages vieillis, vois ce front sénile et tâte cette poitrine crevassée comme les flancs des rochers d’alentour ! Cherche là ce que j’ai souffert avant de me résigner aux bornes de moi-même, à la voix forte d’Altaï ! Tu as recueilli dans la vie les voluptés et l’insulte ; cette double flétrissure s’est acharnée sur toi longtemps. Tu as dépensé bien des souffles sur les lèvres d’hommes qui te les renvoyaient empoisonnés ou qui ne te les rendaient pas ; tu as dépensé bien des larmes sur la couche où tu t’éveillais seule et humiliée à l’aurore, pâle de la nuit et de regret, dans des voiles souillés et froidis ; tu as ouvert ton cœur à tous les amours, et ils y sont venus plus nombreux que les cheveux tressés sur ta tête, plus ruisselants de larmes amères que ne le seraient ces mêmes cheveux détordus et plongés par toi dans la mer. Tu es femme, et cependant tu as mieux résisté que moi, homme de la solitude, nourri de simples au sein des montagnes. Juge donc de l’intensité de mon mal et de sa durée ! Juges-en si tu