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dans son orgueil quand il s’est enchanté lui-même de la balbutie de ses lèvres. Il jouait au Dieu en s’efforçant de créer avec sa parole, mais la Nature l’écrasait de son calme pur de dédain. Si l’on m’eût donné le choix, j’eusse mieux aimé peut-être risquer ce mensonge que de sentir un doigt qui n’était pas le mien, comme celui du dieu Harpocrate, faire peser le silence sur ma bouche esclave. Mais, hélas ! l’alternative me manquait. Et voilà pourquoi j’ai souffert. Amer tourment de l’impuissance ! quoique ce fût encore plus l’impuissance de l’homme que de Somegod. Ma vie s’ensanglanta de cette lutte furieuse que tout homme a avec soi-même avant de prendre son parti sur soi. On le prend enfin, on le prend, ce parti désolé et funeste, mais quelle consommation de la vie !

« Ô Amaïdée ! Amaïdée ! ne me demande pas mon histoire. Les vies de tous se ressemblent plus qu’on ne croit. Femme ou Poète, quand la souffrance intervient dans les battements de nos organes, cette souffrance est un désir que rien n’étanche, et les hommes l’ont nommé l’Amour. Qu’importe l’objet de ce désir funeste ! qu’importe la pâture dont cet amour ne pourra jamais