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le bonheur, non ! ce n’était pas non plus la peine, et pourtant cela faisait cruellement mal et délicieusement bien au cœur. C’était plus et moins tour à tour que la vie… N’est-ce pas là ce que vous nommez la Poésie, vous, et que j’aimais, moi, comme tant de choses, sans savoir pourquoi je l’aimais ?

— « Amaïdée, — répondit Somegod, — tu veux donc que je te livre le secret de mon infortune ! Il y a des hommes à qui l’on peut dire : « Qu’as-tu souffert ? qu’as-tu aimé ? de quoi as-tu joui depuis que tu es dans le monde ? » Altaï, que tu vois ramant à l’autre bout de cette barque, est un de ces riches de misères, frappés par Dieu de l’infinité des douleurs. Mais moi, je n’ai pas été l’objet de cette terrible munificence qui fait les hommes grands entre tous ! Moi, je n’ai qu’une misère pour ma part ; moi, je meurs, comme les lys et l’hermine, d’une seule tache tombée en mon sein ! Toute la question qui résume ma vie est celle que tu me fais aujourd’hui : « Tu es Poète, où est ta Poésie ! » Ô Amaïdée ! de Poésie, je n’en ai pas qui m’appartienne. Le torrent divin qui tombe du ciel dans ma poitrine y engouffre son onde et sa voix. L’homme a menti