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est ta Poésie ? Me méprises-tu assez pour me la cacher ? Pourquoi n’as-tu jamais dit devant moi ces chants qui font du bien à toute âme, comme cette langue qu’ils parlent derrière les Alpes, même quand on ne les comprend pas ? Qui te dit, d’ailleurs, ô Poète ! que je ne comprendrais point ce que tu chanterais ?

« Lorsque je vivais dans les villes, pendant ces nuits passées dans les voluptés qu’Altaï appelle coupables, si un Poète, mêlé à nos fêtes, venait à faire entendre quelque mélodieuse parole, je sentais en moi s’éveiller une foule de puissances endormies. Les autres se mouraient d’ivresses, penchés sur les épaules des hommes qui leur versaient le double breuvage des yeux et des lèvres, n’écoutant pas, au milieu des joies effrénées et lasses, la voix qui planait sur elles toutes, comme un Esprit invisible dont les ailes faisaient trembler la flamme des lampes et battaient sur les yeux à moitié clos. Mais moi, la rieuse et la folâtre, je me retirais dans une embrasure et je cachais ma tête dans mes mains. Ô Somegod ! ce que j’éprouvais avait un charme si différent de ce que le bonheur comme je l’avais senti toute ma vie m’avait appris ! Ce n’était pas