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et nos larmes, et nos douleurs, toutes ces vieillesses anticipées, comme les membres hachés d’Éson, dans cette splendide et bouillonnante cuve des éléments dont les horizons sont les bords et qui écume éternellement sous le ciel ! Oui ! tes spectacles fortifient, élèvent, rassérènent. Tu convies les hommes à des voluptés âpres et viriles, où les sens et leurs grossiers instincts n’ont plus rien à voir. Où a-t-il pris ce fier regard, ce grand Voyageur qui t’adore ? Il l’a rapporté de ces monts qu’il vient de mesurer et dont il descend, les lèvres et les narines sanglantes, pâle et brisé comme s’il avait vu Dieu ! C’est devant toi, la bouche entr’ouverte, la poitrine pleine de ton souffle qu’il prenait pour le sien, que l’homme a dit un soir : « L’âme est immortelle ! » Ah ! je ne sais pas ce qui est et ce que j’espère, mais ta contemplation m’est sacrée, une vertu courageuse s’en exhale, l’homme se compte pour rien devant toi. Ô Nature ! patrie qu’on adore, trop grande pour tenir à l’abri de nos boucliers, Sparte éternelle qu’il n’est jamais besoin de défendre, si tu avais des Thermopyles, il ne faudrait que jeter un regard sur tes mers et sur tes collines pour devenir un de tes trois cents !