Page:Barbey d’Aurevilly - À côté de la grande histoire, 1906.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

phique des Chinois prouve, du moins, qu’il vivait encore, tandis qu’à présent le Rationalisme et l’indifférence ont mieux narcotisé la Chine que l’opium anglais. Huc, qui voit sans doute, mais qui ne conclut pas, se contente de nous tendre tranquillement le miroir terrible et de nous dire d’y regarder !

Bien des esprits ne comprendront rien, sans doute, à cette attitude silencieuse et expressive, à cette impersonnalité du penseur, dont la tête doit bouillonner et qui se contente d’être un réflecteur impassible. Bien des esprits plus fanatiques que ce prêtre, transformé en observateur, n’en proclameront pas moins la supériorité de la Chine et croiront à la force de sa vie, parce qu’ils verront dans le livre même de Huc ces mouvements d’un peuple rusé, vénal, mercantile, actif, fripon, et par-dessus tout spirituel, qui survivent à la vraie vie éteinte, la vie morale, la vie de la conscience et du cœur. Cependant, parce que celle-ci ne subsiste plus, il n’est pas dit pour cela que tout soit soudainement arrêté dans la machine d’un peuple, plus savante que les machines de l’homme, et qui va longtemps encore après que son grand ressort est brisé. Seulement, ne nous abusons pas ! les Chinois actuels ne sont plus (pardon pour le mot !) que les ombres chinoises de leurs pères. Ce n’est plus qu’un peuple de silhouettes, qui se découpent vivement sur la lumière d’une civilisation bariolée comme la lumière de leurs lanternes de couleur. On croit toujours rêver