Page:Barbey d’Aurevilly - À côté de la grande histoire, 1906.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gourme d’esprits faussés, mais non pas faux, qui est en eux, tombe un jour comme elle doit tomber sous peine de perdre le talent dont ils ont le germe, et vous aurez deux écrivains, — ou un écrivain à deux têtes, comme l’aigle d’Autriche — d’une expression étincelante, et chez qui la race mettra son feu ! Quant à savoir si cet écrivain ou ces écrivains acquerront jamais la haute aptitude exigée pour résumer une société morte, après l’avoir ressuscitée dans un volume de trois cents pages, c’est là une question qu’il est inutile de poser, car, pour cela, il faut du génie. Seulement, nous croyons qu’alors, dans cette vaste galerie qui s’appelle l’histoire d’une société, il y aurait — si on recommençait de la construire sur nouveaux frais et de la peindre — deux frères mosaïstes qui feraient leur pan de lambris ou de plafond avec une distinction très rare, et que la Critique devrait apprécier.

Du reste, même avec leurs défauts actuels, leurs affectations et leurs faiblesses, Edmond et Jules de Goncourt ont moins échoué dans leur histoire par l’indigence de leurs facultés que par le fait du préjugé universel sous l’empire duquel ils l’ont écrite. Comme la plupart des esprits troublés de notre temps, ils ont pris Paris pour la France, et, au lieu de nous donner l’histoire de la société française pendant la Révolution, ils nous ont donné l’histoire de la société parisienne. Mensonge qui serait une injure, si ce n’était