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indiscrétions de ses amis, l’investit d’une certaine importance personnelle. Fut-ce pour lui un pistolet de poche, toujours armé et mis sur la gorge de tous ces amours-propres que la lâcheté rend si charmants ? Fut-ce un instrument à l’aide duquel il put crocheter tout doucement et sans faire de bruit la porte de certains salons qui, sans cela, ne se seraient jamais ouverts devant sa mince personne et l’obscurité de son nom ? On ne sait pas bien, et c’est là ce qu’on ne pourrait affirmer quand on interroge le texte seul du rapport de cette espèce de Vidocq des ruelles de son temps, qui l’écumait chaque jour de ses sottises, de ses ridicules et de ses vices, au profit d’un mystérieux manuscrit qu’il devait laisser derrière lui à l’histoire, comme un document à apurer ! Seulement, il faut le reconnaître, ce manuscrit n’est rien de plus qu’un rapport, tracé par un espion de bas étage, qui ne s’occupe jamais que d’une chose : le mot recueilli, le fait exact et rien de plus ! Nous l’avons dit déjà, Tallemant des Réaux n’est capable d’aucune conclusion de jugement inévitable et souveraine, d’aucune observation vigoureusement liée, d’aucune vue d’ensemble et supérieure, sur cette société qu’il picore, abeille d’une espèce étrange qui va aux puanteurs comme l’autre aux parfums, et qui ne sait pas même construire son rayon de venin comme l’autre son rayon de miel !

Impuissant qu’on n’aurait pas même le courage de détester, si on ne pensait à l’avenir, au mal affreux