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que l’empereur actuel de Russie avait fait défendre l’introduction de ce livre dans ses États. Cela donnait à penser qu’il y avait des choses bien fortes… Il n’y a rien ! Ce vieux Breton de Villebois est un déplorable observateur.

Les Mémoires ne contiennent sur Pierre le Grand, qui n’est qu’un grand barbare rongé de fausse civilisation, que ce que nous savons tous ! Dans sa position d’amiral et de Français, car cela fut longtemps une position que d’être Français à la cour de Russie, il aurait pu voir bien des choses, et s’en souvenir, mais il n’avait point le regard qui pénètre. Peut-être ne n’avait-il jamais eu, ou l’avait-il hébété dans ces immenses soûleries (orgies ne dirait pas assez) dont il nous donne l’affreux détail et qu’aiment ces buveurs d’essence de feu qui vivent dans la neige. Du reste, avons-nous besoin de le regretter ? Qu’y a-t-il de compliqué, d’entremêlé, de profond, de savant, de nuancé, dans cette société russe, imitatrice par en haut, sauvage par en bas, et qui croit à ses maîtres comme à saint Serge et à sainte Anne, c’est-à-dire plus qu’à Dieu, pour qu’il nous faille un observateur et un peintre, sous peine de ne pas la comprendre ? Trois coups de pinceau trempé dans du vermillon, la couleur russe par excellence, — car, en russe, rouge est un synonyme de beau, — et c’est fait ! Il n’y a point à dédoubler ce peuple, simple, quoique rusé, sur lequel la civilisation n’est que superposée, et qui, s’il pourrit,