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çante de cette main retrouvée sur tous les murs et qui peut les saisir dans leur alcôve la mieux fermée, et les jeter, en deux temps, aux traîneaux fuyants de l’exil, qui empêchent les Russes de préparer leur histoire future en écrivant des Mémoires, — ces mines d’où l’Histoire doit sortir ! Il est de cela une raison plus intime, et qui vient de leur nature même.

Il n’y a que les niais qui croient à l’impartialité dans le monde. Les Mémoires sont les revanches de la personnalité froissée, dont le ressort comprimé s’échappe enfin, ou les épanouissements de la personnalité heureuse, qui fait la belle et qui s’étale, à l’odalisque, sous son éventail de plumes de paon. Dans les deux cas, c’est de la personnalité exaltée, et la personnalité, nous l’avons dit, manque aux Russes. Ils peuvent être des chevaliers de Grammont dans la vie ; c’est un air à prendre, un habit à porter, un propos à tenir, une manière de saluer, de monter à cheval, de mettre ses bottes, ou de se les faire ôter par des princesses, — comme faisait Lauzun. Mais être l’Hamilton du chevalier de Grammont, c’est plus difficile ; car le génie, comme la conscience, c’est la perle divine qu’on trouve au fond de la coquille d’huître de l’humanité, et que tous les monteurs de pierres fausses ne pourront imiter jamais !

Que la critique finisse donc par être légère à Beaumont-Vassy ! Les historiens de la Russie, les vrais, les seuls, ne sont point ceux qui ont la préten-