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ronde, et il faillit payer de sa tête son goût pour eux. Il n’échappa au lieu commun de la mort du temps qu’en s’engageant dans la marine, et l’ironie qui gouverne le monde fit du professeur de beau langage, du doux Ionien de la rhétorique que nous avons connu, un matelot à bord du Brûle-Gueule… Je n’oserai jamais dire un rude matelot !

Eh bien, ce sont les souvenirs de cette lointaine et première époque de sa vie que Vaultier avait écrits avec un détachement de tout, avec une absence de prétention si rare, que cela est presque de l’originalité dans ce temps où les grenouilles de l’individualisme crèvent dans tous les livres pour se donner des airs de bœuf insupportable ! Ses Souvenirs de l’Insurrection normande en 1793[1] ne sont pas de l’histoire, dans leur forme brisée, laconique, à peine appuyée, — des linéaments historiques ! — et ils ne sont pas des Mémoires non plus. Ils ne sont pas de ces Mémoires si chers en tout temps à la vanité française, mais plus que jamais à une époque d’importance personnelle où chaque circonférence se croit centre et où l’amour-propre vous prend familièrement le genou en vous disant : « Écoutez-moi ! » Vaultier n’a point de ces façons. Il ne nous raconte pas ses impressions et sa vie, et ses manières, longuement déduites, de penser, et ses excuses pour avoir agi. Il ne trône

  1. Le Gost-Clerisse. Caen.