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marqués de précision et d’exactitude qui tendent à devenir le fond même de l’esprit moderne, l’historien, pour bien comprendre l’histoire et la ressusciter en la peignant, doit vivre là où elle a vécu et s’est faite. Cela devient nécessaire partout, mais cela est surtout profitable quand il s’agit — comme ici, par exemple, — de nations lointaines et stationnaires, que le temps agite et ronge sur place, tout en ayant l’air de les conserver.

Et telle est l’Asie, l’Asie tout entière. Huc, dans ses voyages comme dans ce livre-ci, ne nous parle que des Chinois et des Tartares ; mais ce qui est vrai de ces deux peuples l’est de toutes les populations de l’Asie, de toutes ces masses de momies peintes qui pourrissent silencieusement sur leurs bases depuis des éternités, et qui y pourriront jusqu’au jour, peu éloigné maintenant, où, touché par la main vivante de l’Occident, s’émiettera définitivement en poussière tout cet amoncellement de sanie ! Identiques dans la corruption et dans la mort, qui a vu un de ces peuples les a vus tous. Qui en a étudié un seul dans le présent les connaît tous dans le passé, à quelque point qu’on veuille remonter dans la durée ; car pour ces peuples, routiniers jusque dans leurs révolutions, et qui font toujours les mêmes choses, aujourd’hui ressemble à hier, comme il doit ressembler à demain. L’auteur des Voyages en Chine et au Thibet, par cela même qu’il y avait vécu et séjourné longtemps, était donc aussi apte qu’on pouvait