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russe, pour se reprendre à son pays, pour le juger mieux ! et il s’en alla, singulier pèlerin, en Terre Sainte. Mais en cela il n’imita pas Chateaubriand. Il voulait faire de son voyage à Jérusalem quelque chose comme un bouclier contre le ressentiment des popes ; car à Saint-Pétersbourg, dans cette société mi-partie de mode et de religiosité mystique, un homme qui revient de Jérusalem a un charme…

Le charme n’agit point sur la mort : frais de voyage, de précaution, de coquetterie religieuse, tout fut inutile. Gogol revint pour mourir en Russie. C’était en 1848.

Il n’avait pas quarante-trois ans…

Triste vie, triste fin, — plus triste livre encore ! Les Âmes mortes, quelles qu’elles soient, mensonge ou vérité, n’ont que la longueur d’une grande œuvre. En supposant que la Gloire, qui est une capricieuse, veuille se gargariser jamais avec les deux syllabes du nom de Gogol, les Âmes mortes, ce long poème en prose, feront moins d’honneur à leur auteur que tel petit poème ou telle petite nouvelle, son Tarass Boulba, par exemple, dont relativement on ne parle pas. Gogol a travaillé pour le théâtre. Il est l’auteur d’une comédie politique intitulée le Revisor, où il n’y a ni situation dramatique, ni imagination quelconque, mais du mordant ; seulement, ce mordant n’est pas gai. En somme, Gogol n’était peut-être pas, mais il s’est voulu satirique, et il a tué un joli petit talent plus que dans son germe, sous une grande prétention.