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mais il n’a assez de l’une ni assez de l’autre pour avoir une personnalité dans l’une ou dans l’autre. Il n’a point de personnalité parce qu’il en a deux. Il n’a point de personnalité, comme son pays, du reste, qui les a toutes, et qui, pour cela, n’en a aucune, aucune dont on soit fondé à dire : « Tenez ! pour le coup, voici la Russie sans mélange, virginale, la Russie pure, le diamant brut, mais d’autant plus précieux qu’il n’a jamais été rayé par une influence étrangère ! »

Eh bien, tel pays et tel homme ! L’imitation est le génie de la Russie. C’est son genre, c’est peut-être à jamais son seul genre d’originalité. Seulement, pour imiter comme elle imite, il faut une vraie souplesse de tigre. Or, quand on n’est pas lion, il est beau d’être tigre encore. Cette faculté d’imitation, si facile qu’elle en paraît instantanée comme l’éclair, les Russes ont trouvé un mot pour l’exprimer sans faire saigner cette veine si pleine, toujours gonflée sur la joue rougissante, de l’amour-propre national. Ils l’ont appelée : « le génie cosmopolite de la Russie », et ils ont raison… Rien n’est plus cosmopolite que l’imitation ! Rien n’entre mieux dans le cœur des hommes que leur propre image qu’on leur rapporte ; car jamais ils ne pourront croire que les réfléchir, ce ne soit pas les admirer !

Gogol a beau vouloir n’être que Russe, il a beau regimber contre l’influence française et l’influence allemande, il les porte toutes les deux sur sa pensée : il