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faisait plus d’effet sur l’imagination que les avares de Balzac, cette légion digne de Rembrandt et de Shakespeare : Gigonnet, Grandet, et le terrible Gobseck lui-même ; et la raison qu’il en a donnée est une petite raison de philanthrope politique : « La raison, — dit-il, — c’est qu’un tel homme a des esclaves » ; comme si Gobseck, avec les passions qu’il déchaîne en leur montrant son or, n’en avait pas !

III

Mais laissons les grands noms et les grands modèles. Laissons Cervantes, laissons Rabelais, Richardson et Fielding, et Molière et Balzac, et quand un homme n’est pas même Swift, ne tourmentons pas notre trompette de traducteur et soufflons dedans des airs plus doux. Le talent de Nicolas Gogol, on ne saurait le nier ; mais la Critique est une mesure et elle n’a fait que la moitié de sa tâche quand elle s’est contentée de dire : « Cet homme a du talent », ou : « Il n’en a pas ». Assurément, l’auteur des Âmes mortes est un talent à sa manière, mais c’est un talent russe, et peut-être le plus russe de tous les talents de son pays. Il a de l’humour et de l’observation, ce n’est pas douteux,