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cela superficiel ! M. Charrière, qui a pour Gogol les bontés d’un homme d’esprit pour la personne qu’il a pris la peine de traduire, n’hésite pas à mettre les Âmes mortes à côté de Gil Blas, et, si cela lui fait bien plaisir, nous ne dérangerons rien à cet arrangement de traducteur ; car la réputation de Gil Blas — ce livre écrit au café, entre deux parties de dominos, a dit le plus fin et le plus indulgent des connaisseurs, — n’est pas une de ces gloires solides qui aient tenu contre le temps. Elle est passée… passée comme les rubans hortensias qui servaient de serre-tête à nos grands-pères ! Seulement, si nous cédons Gil Blas, nous ne pouvons pas permettre qu’on compare en quoi que ce puisse être le satirique russe, qui se torture pour être méchant, à notre impartial et tout-puissant Balzac.

Les personnages du roman de Gogol, tous ineptes, ne sont plus que superficiels quand ils cessent d’être profonds d’ineptie. Le tendre Maniloff, à qui « on voudrait voir une passion, une manie, un vice, afin de lui savoir quelque chose », madame Koroboutchine, Nozdref le hâbleur, Pluchkine l’avare, — ces tics plutôt que ces passions, — ne peuvent pas être mis à côté de la magnifique variété d’individualités qui foisonnent dans la Comédie humaine, et qui sont taillées si profond que les gens qui ne voient pas à une certaine profondeur ne les croient plus vrais, les pauvres myopes ! M. Charrière a prétendu que le Pluchkine de Gogol