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II

Les Âmes mortes, en effet, sont le déshonneur universel de la Russie, et jusque de sa nature extérieure, que le réaliste Gogol insulte par les descriptions qu’il en fait et les indignes objets auxquels il la compare. Ces Âmes mortes, qui veulent être un roman de mœurs gigantesque, devaient nous montrer la Russie sous tous ses aspects. Malheureusement, l’auteur, qui, comme tous les littérateurs de son pays, imite perpétuellement quelqu’un ou quelque chose, et qui, comme Michel Cervantes, avait appelé poème son roman, est mort au dix-neuvième chant de ce poème qui n’est pas un poème, et qu’il avait, comme Virgile (toujours comme quelqu’un !), jeté au feu, sans qu’il ait brûlé plus que l’Énéide.

De même aussi (toujours de même !) que le Don Juan de Byron devait parcourir le globe tout entier dans le plan du poète, de même le héros de Gogol devait parcourir l’empire russe ; mais ce n’était pas la main aveugle des circonstances qui le poussait à travers l’empire, c’était une pensée de spéculation. Le héros de Gogol est… il faut bien le dire ! un escroc.