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cette Russie, au fond, si peu connue, cette steppe en toutes choses, cette platitude indigente, immense, infinie, décourageante, qu’il nous présente dans les mœurs russes, dans les esprits, dans les caractères ? Voilà la question très embarrassante, mais fatale, qui s’élève du livre de Gogol dans l’esprit de tout critique qui a pour devoir d’en parler.

Si le livre où le Réalisme le plus dénué d’invention, et qui s’en vante, peint toujours la réalité la plus terne, la plus sotte ou la plus abjecte ; si ce livre inouï a le malheur d’être vrai, c’est la plus terrible, et pour un homme de cœur la plus douloureuse accusation qui puisse être jamais lancée contre ce colosse sans âme qu’on appelle, avec une ironie dont on ne se doute pas : « la sainte Russie », dans les ukases impériaux ! Mais si ce livre n’était pas vrai, — pas vrai même dans le sentiment d’observateur de celui qui en a tracé les pages, — que mériterait, dans la mémoire de ses compatriotes, l’homme qui a osé l’écrire, pour avoir tenté, satirique impie, de déshonorer si abominablement son pays ?…