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tout de suite sa renommée. S’il avait éclaté d’idéal, s’il avait porté cette marque brillante et délicate du Génie, il attendrait probablement encore, obscur et dédaigné, sa pauvre heure de gloire (Milton, hélas ! ne l’eut jamais !), tandis que la réalité, — faut-il dire pure pour dire toute seule ? — la réalité sans rien qui la relève, a d’ordinaire cette vile fortune que les hommes, ces fats en masse comme en détail, s’y reconnaissent, soit pour y applaudir, soit pour la maudire ; mais, malédictions ou applaudissements, c’est toujours à peu près le même bruit !… Gogol est présentement[1] un des hommes les plus célèbres de la Russie. Il en a été le scandale. Les uns trouvent qu’il a hideusement calomnié le pays qu’il a voulu peindre ; les autres, qu’il l’a peint hideux, c’est vrai, mais ressemblant. Et ce n’est pas même hideux qu’il faut dire ! Le hideux a du relief, et la Russie de Nicolas Gogol n’en a pas. C’est le sublime de l’ennuyeuse platitude, et dans des proportions tellement énormes et tellement continues, qu’on ne sait vraiment plus, au bout de quelque temps de lecture, lequel est le plus insupportable, de la Russie ainsi peinte, ou du genre de talent de celui qui l’a peinte ainsi.

Et l’a-t-il peinte ainsi parce qu’il l’a vue ainsi, — car les peintres ont parfois des organes dont ils sont les victimes, — ou parce qu’elle est véritablement ainsi

  1. 1859.