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ces deux volumes, dont la prétention, au contraire, est d’être cruellement réels.

Jamais, en effet, auteur quelconque — poète ou romancier — ne fut plus l’homme et même le serf de la réalité que ce Gogol, qui est, dit-on, le créateur et le fondateur d’une école de réalisme russe près de laquelle la nôtre — d’une assez belle abjection pourtant ! — n’est qu’une petite école… primaire. Il paraîtrait que c’est une loi : les réalistes, comme les ours, viendraient mieux et seraient plus forts vers les pôles… Cette locution d’Âmes mortes, qu’on pense tout d’abord être une manière de dire poétique et funèbre, toute pleine d’attirants mystères, n’est qu’un terme usuel en Russie, un terme vulgaire et légal. Vous saurez tout à l’heure ce que c’est.

M. Charrière, qui nous a traduit le roman de Gogol, M. Ernest Charrière, qui nous avait déjà traduit, et très souplement, les Mémoires d’un seigneur russe, par Tourgueneff, nous assure que cet impitoyable réaliste de Gogol, qui n’a que le nom de barbare, a débuté par le plus pur idéal dans sa vie littéraire. Nous voulons bien l’en croire. Le jour le plus lividement glauque peut commencer par une aurore. Seulement, si l’auteur des Âmes mortes, qui est l’idéal mort, l’a eu, ce sentiment de l’idéal, il l’a éteint en lui comme on souffle un flambeau, et je défie bien, quand on lit son livre, qu’on puisse dire qu’il l’eut autrefois.

Mais, pour cette raison précisément, ce livre a eu