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venait de passer sur son cerveau, comme une trombe sur une couche à cornichons, s’il était triste, vous savez bien, ma chère Percy, qu’on disait qu’il avait des raisons pour l’être. Vous savez bien qu’on se disait dans le tuyau de l’oreille qu’il était un commandeur de Malte, et qu’il avait prononcé ses vœux…

— Oui, répondit mademoiselle de Percy, admettant l’objection, cela se chuchotait, et si réellement il était commandeur de Malte, l’idée de ses vœux dut le faire cruellement souffrir quand il devint amoureux de cette Aimée qu’il ne pouvait pas épouser, car les chevaliers de Malte étaient tenus à célibat comme les prêtres… mais de cela quelle preuve avons-nous jamais eue !… si ce n’est cette affreuse pâleur de mort qui lui couvrit tout à coup le visage le jour où, à table, au dessert, Aimée nous apprit qu’elle s’était engagée, en vous disant, Ursule, devant nous toutes, rose de pudeur et de l’effort que lui coûtait cet aveu qui, pour nous, était une nouvelle :

— « Ma chère Ursule, je vous en prie, donnez des fraises à mon fiancé ! »

Il devait être heureux d’un tel mot, et il devint livide… Mais toutes les pâleurs ne se ressemblent-elles pas ? Qui peut reconnaître la pâleur d’un homme heureux de celle d’un traître ? S’il en était un, si vraiment il avait