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jouer de l’amphore… et du reste avec grâce ! Mais mademoiselle Aimée de Spens n’était pas de cet acabit de beauté-là ! Ne t’avise jamais, Fierdrap, de lui comparer personne ! Ma sœur a raison. On ne vit pas assez longtemps pour rencontrer dans sa vie deux femmes comme celle-là a été… La beauté unique de son temps ! mon cher, et elle aura eu le sort de tout ce qui est absolument beau ici-bas ! Il n’y aura pas d’histoire pour elle… pas plus que pour les onze héros qui l’ont aimée. Elle n’en aura déshonoré aucun ; elle ne sera entrée dans la baignoire d’aucune reine ; elle ne comptera point parmi les intéressantes ravageuses de ce monde, qui le bouleversent du vent de leurs jupes ! Pauvre magnifique beauté perdue, qui n’entend même pas ce que je dis d’elle, ce soir, au coin de cette cheminée, et qui n’aura été dans toute sa vie que le solitaire plaisir de Dieu !

Pendant que l’abbé de Percy parlait, le baron de Fierdrap regardait celle qu’il avait appelée le solitaire plaisir de Dieu, travaillant alors à sa broderie avec ses deux mains de madone. Il clignait de l’œil, M. de Fierdrap. C’était son tic et il en faisait une finesse. De son autre œil qu’il ne fermait pas, de son œil gris émerillonné, l’ancien hulan allait du beau front d’Aimée, couronné de ses cheveux d’or