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pistolet, ils s’adressèrent mutuellement une de ces solennelles révérences comme la tradition nous rapporte qu’on en faisait une, avant de danser le menuet.

— Ma sœur de Percy, dit l’abbé, puisque l’apparition de Des Touches, dont nous aurons sans doute des nouvelles demain, nous fait tisonner dans son histoire, au coin du feu, ici, ce soir, pourquoi ne la raconteriez-vous pas à Fierdrap, qui ne l’a jamais sue que de bric et de broc, comme nous disons en Normandie, par la très-bonne raison qu’il ne l’a jamais entendue que dans les versions infidèles et changeantes de l’émigration ?

— Je le veux bien, mon frère, dit mademoiselle de Percy, qui rougit de plaisir à la demande de l’abbé, si cela pouvait s’appeler rougir que de passer de la nuance qu’elle avait à une nuance plus foncée ; mais il est neuf heures sonnées à la pendule et mademoiselle Aimée va bientôt venir : c’est son heure. Or, voilà l’embarras ; comment raconter devant elle l’enlèvement de Des Touches où périt son fiancé d’une manière si étrange et si fatale ? Elle a beau être sourde et préoccupée, la malheureuse fille ! il y a des jours où le rideau tendu par la douleur entre elle et le monde est moins épais et laisse passer les bruits et la parole, et c’est peut-être un de ces jours-là qu’aujourd’hui !