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Au déclin de l’âge, la Normandie lui était repassée dans le souvenir, parée du charme des jours évanouis ; et lui, qui s’était mêlé aux plus hautes sociétés de France et d’Angleterre et qui avait joué sa partie d’homme d’esprit avec les plus grands et les plus brillants esprits qui eussent joûté en Europe depuis quarante ans, il était revenu vivre parmi les bonnes judiciaires du Cotentin, claquemuré dans une petite maison, ornée avec goût et qu’il appelait son hermitage. Il n’en sortait que pour aller passer des huitaines chez tous les châtelains des alentours.

C’était un grand dîneur. Mais sa naissance, son formidable esprit, ses manières, excluaient toute idée de parasitisme dans ce modeste piéton qu’on rencontrait, comme le baron de Fierdrap, non pas au bord de toutes les rivières, mais sur toutes les routes, allant faire quelque pèlerinage à la Notre-Dame de la cuisine des châteaux les plus renommés par leur hospitalité et par leur bonne chère.

Ces dîners, qu’il avait toujours aimés, avaient foncé la teinte d’écrevisse cuite de son visage, et justifiaient ce qu’il disait de cette éclatante couleur rouge, allumée par le Porto de l’émigration et le Bourgogne de la patrie retrouvée : « Il est probable que voilà la seule pourpre que j’aurai jamais à porter ! »