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Cotentin, à qui cette pêche était, avant lui, inconnue, quand ils le voyaient courir sur la rive, en remontant ou en descendant les rivières, et figurer le vol de la mouche, en maintenant toujours son hameçon à quelques pouces du fil de l’eau, avec un aplomb de main et de pied qui tenait vraiment du prodige !

Ce soir-là, comme presque tous les soirs, lorsqu’il se trouvait à Valognes et que ses pêches errantes ne l’entraînaient pas, il allait passer la soirée chez ces demoiselles de Touffedelys. Il y apportait sa boîte à thé et sa théière, et il y faisait son thé devant elles, ces pauvres primitives, à qui l’émigration n’avait pas donné de ces goûts étonnants, comme « l’amour de ces petites feuilles roulées dans de l’eau chaude » qui ne valaient pas, disaient-elles d’une bouche pleine de sagesse, « la liqueur verte de la Chartreuse contre les indigestions ». Infatigables dans leur étonnement, elles retrouvaient à point nommé l’attention animale des êtres qui ne sont pas éducables, en regardant chaque soir de leurs deux yeux faïencés, grand-ouverts comme des œils-de-bœuf, cet original de Fierdrap procédant à son infusion accoutumée, comme s’il s’était livré à quelque effrayante alchimie ! L’abbé, cet abbé qui venait d’entrer comme un événe-