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redescendre pour y monter encore, le firent revenir à lui. Il rouvrit les yeux. Le sang qui menaçait de lui faire éclater la face comme le vin trop violent fait éclater le muid, retomba le long de son corps et il pâlit… Des Touches eut un mot de marin.

— C’est le mal de mer qui commence, fit-il cruellement. »

Le meunier, qui avait d’abord ouvert les yeux, les referma comme s’il eût voulu se soustraire à l’horrible sensation de cet abîme d’air qu’il redescendait sur l’aile, l’implacable aile de ce moulin, remontant éternellement pour redescendre, et redescendant pour remonter… Le soleil qui brillait en face dut mêler la férocité de son éblouissement à la torture de cet étrange supplicié, qui allait ainsi par les airs ! Le malheureux avait commencé par crier comme une orfraie qu’on égorge, quand il avait repris connaissance ; mais bientôt il ne cria plus… Il perdit l’énergie même du cri… l’énergie du lâche ! et il s’affaissa sur cette toile blanche de l’aile du moulin, comme sur un grabat d’agonie. Je crois vraiment que ce qu’il souffrait était inexprimable… Il suait de grosses gouttes que l’on voyait d’en bas reluire au soleil sur ses tempes… Ces messieurs regardaient les yeux secs, la lèvre contractée, impassibles… Mais moi, monsieur de Fierdrap (et mort Dieu !