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qui, comme l’abbé et le baron, se plaignaient entre eux des Bourbons, comme on se plaindrait d’une maîtresse, car se plaindre de sa maîtresse est peut-être une manière de plus de l’adorer !

— Après les derniers devoirs rendus à M. Jacques, reprit la conteuse, nous pensâmes à délivrer de ses fers le chevalier Des Touches que nous avions assis et appuyé, dans le bateau à tangue, contre le mât auquel on attache le grelin. Ceux qui l’avaient pris lui avaient fait comme une espèce de camisole de force avec des chaînes croisées et recroisées, et ils les avaient serrées au point de produire l’engourdissement le plus douloureux en cet homme svelte et souple, dans les membres duquel dormait une force qui avait ses réveils, comme le lion. Avec son instinct et son amour du combat, il avait dû furieusement souffrir d’entendre passer les balles autour de lui, sur les épaules de ses compagnons, et de n’en pouvoir cracher une seule à l’ennemi ; mais la marque distinctive du courage de Des Touches, c’était la patience de l’animal ou du sauvage sous la circonstance qui l’écrasait. C’était un Indien que cet homme de Granville ! Il avait jusque-là, dans la marche et dans la nuit, souffert de ses chaînes en silence, mais, depuis qu’il faisait jour et que nous n’avions plus l’ennemi aux