Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.

place, et quand la personne aux sabots entra, mais sans sabots, dans le salon des demoiselles de Touffedelys, qui l’attendaient pour leur causerie du soir.

Elle, ou plutôt il (car c’était un homme), était chaussé avec l’élégance d’un abbé de l’ancien régime, comme on disait beaucoup alors, et d’ailleurs, quoi d’étonnant, puisque c’en était un ?

— J’ai entendu votre voiture, l’abbé, dit la cadette des Touffedelys, mademoiselle Sainte, qui, dans son impossibilité absolue d’inventer le moindre petit mot quelconque, répétait la plaisanterie de l’abbé, quand il parlait de ses sabots.

L’abbé donc qui s’était débarrassé à la porte du vestibule d’une longue redingote de bougran vert, mise par-dessus son habit noir, s’avança dans le petit salon, droit, imposant, portant sa tête comme un reliquaire et faisant craquer ses souliers de maroquin, préservés par les sabots de l’humidité. Quoiqu’il vînt d’éprouver une de ces impressions qui sont des coups de foudre, il n’était ni plus pâle ni plus rouge qu’à l’ordinaire, car il avait un de ces teints dont la couleur semble avoir l’épaisseur de l’émail et que l’émotion ne traverse pas. Déganté de sa main droite, il offrit à la ronde deux doigts de cette main aux quatre per-