Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/185

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cions comme sur une trappe dont on se défie et qui peut s’ouvrir tout à coup et vous avaler, et que je me rappelle parfaitement une vieille femme en cornette de nuit et en serre-tête, le seul être vivant de cette ville ensevelie toute entière dans ses maisons comme dans des tombes, laquelle, à la fenêtre d’un haut étage, vidait, au clair de la lune, une cuvette avec précaution et mystère, et mettait à cela une telle lenteur, que les gouttes du liquide qu’elle versait auraient eu le temps de se cristalliser avant de tomber sur le sol, s’il avait fait un peu plus froid. Elle en accompagnait la chute de l’avertissement charitable : « gare l’eau ! gare l’eau ! » prononcé d’une voix tremblotante, qu’elle veloutait pour n’éveiller personne, et qui disait à quel point elle était consciencieuse dans ce qu’elle faisait, et même timorée. À chaque goutte qui tombait ou qui ne tombait pas, elle répétait du même ton dolent son gare l’eau ! monotone… Nous nous rangeâmes contre le mur d’en face, craignant qu’elle ne nous aperçût… Mais, trop occupée pour cela, elle continua d’épancher sa source éternelle, en diésant toujours son gare l’eau !

— Dans mon pays, dit à voix basse La Bochonnière, les moulins à eau s’appellent des Écoute-s’il-pleut ; mais, du diable ! en voilà un comme je n’en avais jamais vu.