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de coquins révolutionnaires. Les rues étaient muettes ; pas un chat n’y passait. Que fût-il arrivé de nous tous, de Des Touches, de notre projet, si nous avions rencontré seulement une patrouille ? Nous savions bien ce qui, dans ce cas, serait arrivé ; mais nous n’avions la liberté d’aucun choix ; il fallait aller, s’exposer à tout, jouer son va-tout enfin, ou, pas de milieu, demain Des Touches serait guillotiné ! Heureusement, nous n’aperçûmes pas l’ombre d’une patrouille dans cette ville, morte de sommeil. Des réverbères très-rares et à de grandes distances les uns des autres, tremblaient au vent à l’angle des rues. Suspendus à de longues perches noires, transversalement coupées par une solive, et figurant un T inachevé, ils avaient assez l’air de potences. Tout cela était morne, mais peu effrayant. Nous enfilâmes une rue, puis une autre. Toujours même silence et même solitude. La lune, qui se brouillait de plus en plus, se regardait encore un peu dans les vitres des fenêtres, derrière lesquelles on ne voyait pas même la lueur d’une veilleuse expirante. Nous assoupissions le bruit de nos pas, en marchant.

Le moment était pour nous si solennel, monsieur de Fierdrap, que j’ai gardé les moindres impressions de cette nocturne entrée dans Coutances et le long de ces rues où nous avan-