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clair de ces deux épées qui leur tomba sur le front, à ces deux fiancés d’avant la bataille, défiancés par la mort, le lendemain !

— « Voilà de belles noces ! fit la Bochonnière, qui était le plus jeune des Douze. Mais on danse aux noces. Si nous dansions ? »

Cette idée tomba comme une étincelle sur la poudre dans ces esprits qui flambaient à toute étincelle. En un clin d’œil, la table fut enlevée et chacun d’eux sur place, tenant sur le poing sa danseuse. S’il y avait là des cœurs brisés, les jambes ne l’étaient pas, et ils dansèrent… comme ils s’étaient battus à la foire d’Avranches, et ils cassèrent des bras encore, mais ce furent les deux miens…

— Comment ? fit le baron de Fierdrap, qui, de ce coup, ne comprit pas, et dont le nez devint le plus beau point d’exclamation qui ait jamais dessiné son crochet sous la giroflée d’une engelure.

— Oui, baron, reprit-elle, car c’est moi qui les fis danser comme des perdus jusqu’à trois heures du matin, sans reprendre haleine. C’est moi qui fus le ménétrier de cette noce. Quoique je ne fusse pas alors, grâce à la guerre, aussi ventripotente qu’aujourd’hui, je n’avais pas cependant, dès ce temps-là, une taille de danseuse, et je n’étais guère bonne qu’à faire, dans un coin de bal, un ménétrier. Je jouais assez