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et c’était ce soir-là, mais je vous jure que ce soir-là, elle ne descendit pas sa race… Cette soirée paya toute sa vie. Toute sa vie depuis a été le malheur, le veuvage, la surdité, un bout de feston derrière lequel on cache sa rêverie et la pauvreté d’une violette au pied d’un tombeau ; mais, ce soir-là, où elle voulut se fiancer publiquement à M. Jacques, comme elle s’y était déjà fiancée en secret, elle nous donna, en une fois, la mesure de ce qu’elle aurait pu être si, comme à tant d’autres, le cadre des circonstances ne lui avait pas manqué et n’eût pas été plus petit qu’elle !

Ce qu’elle avait voulu eut lieu comme elle l’avait voulu et donna un caractère d’exaltation nouvelle à cette journée d’enthousiasme et de joie virile. Aimée n’avait dit à personne le projet qui devait donner à l’homme dont elle était aimée un bonheur à essuyer toutes ses tristesses et à lui mettre au front les rayonnements des cœurs heureux. Avait-elle entendu ce que M. Jacques vous avait répondu, Ursule, ou même avait-elle besoin de l’entendre pour savoir ce qu’il y avait dans ce cœur triste où elle vivait ?… mais toujours est-il qu’elle se leva de table, peu d’instants après, et que sa meilleure amie, Jeanne de Montevreux, la suivit. On n’y prit pas garde ; on parlait de l’expédition du lendemain et de ce départ