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spirituels, rendait sa vanité moins intraitable ; mais son incomparable aplombe couvrait tout. « Qu’est cela qui vous salue, Sefton ? » disait-il à lord Sefton dans une promenade publique ; et c’était l’honnête provincial chez lequel, lui, Brummell, dînait le jour même, qui le saluait.

Il habita Calais plusieurs années. Sous le vernis de cette vanité toujours en grande tenue, il cacha probablement bien des douleurs. Parmi toutes les autres il y en eut aussi d’intelligence. En effet, suprêmement homme de conversation, la conversation lui était devenue impossible[1]. Son esprit, qui avait besoin pour

  1. On parle plusieurs langues, mais on ne cause que dans une seule. Paris même pour Brummell n’aurait pas remplacé Londres. D’ailleurs Paris n’est pas plus le pays de la causerie que toute autre ville maintenant. La conversation y est à peu près nulle, et Mme de Staël n’aimerait plus guère son ruisseau de la rue du Bac. À Paris, on pense trop à l’argent qu’on n’a pas, et l’on se croit trop l’égal de tout le monde pour bien causer. On ne jette pas plus l’esprit par les fenêtres qu’autre chose. À Londres, les intérêts d’une fortune à faire agitent et dominent beaucoup d’esprits ; mais, à une certaine hauteur, on trouve une société qui peut penser à mieux que cela. Puis il y a des rangs, un classement (bon ou mauvais, ce n’est pas la question ici), et voilà ce qui fait mousser l’esprit en le comprimant. Dans une pareille société, il faut tant de finesse pour être impertinent et