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qu’elle y serait heureuse. Nul pressentiment ne vint l’avertir qu’un jour la souffrance pourrait l’y atteindre. Ravie d’enthousiasme, elle ne vit pas ce vieux manoir (un peu triste, il faut en convenir), devant la grande porte duquel la fit descendre sa grand’mère. Elle en traversa, toute joyeuse, la cour pavée avec des galets et la longue galerie dont le vent agitait les panneaux à travers les fentes des fenêtres mal jointes. Une fois que la marquise eut gagné son lit, elle entraîna Marigny sur l’escalier du mur en talus qui conduisait à la plage. Elle s’assit sur les marches de granit comme si elle eût été l’humble femme d’un des pêcheurs de ce pays. La mer était retirée. Le ciel pur mirait ses étoiles dans la surface à peine ridée du havre et dans les fosses circulaires où l’eau séjourne entre les rochers découverts. Marigny, qui aimait à voir ces expansions de jeunesse dans un être qui lui appartenait si bien, ne s’opposa point à ses volontés. Il l’entourait seulement, pour qu’elle n’eût pas froid à la brise, de ses bras et de son manteau. « Quel charmant paysage ! — dit-elle, en levant sur lui ses grands yeux qui brillaient du bleu mystérieux des étoiles, — ce sera notre nid d’Alcyon. » Et depuis, dans toutes leurs causeries, Carteret, le maritime village qui semble nager sur la mer quand la mer est haute, ne porta plus que ce nom-là.