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Ce soir-là, la grève était plus animée qu’à l’ordinaire. Les enfants du village, à peine vêtus, erraient en différents groupes sur les bords du havre. Les uns jouaient au palet avec le galet plat du rivage, et les autres barbotaient, les jambes nues, dans les trous creusés par eux dans le sable et que l’eau de la mer, qui filtrait partout sous ces arènes, allait bientôt remplir. Les garçons de ferme des terres voisines chassaient devant eux les pesants chevaux de labour, chargés de varech, et les douaniers, qui devaient faire une battue nocturne sur la côte, préparaient, dans l’anse du havre, leur patache, petit bâtiment à voile triangulaire, beaucoup plus poétique que son nom. Assis sur les marches de cet escalier qui conduisait de la cour du manoir à la grève, le vieux Griffon se chauffait à ces derniers rayons d’un beau soir, doré, long, splendide ! Il avait l’immobilité d’une statue, avec ses yeux blancs, sans regard, qui ne voyaient plus la mer, — cet amour ardent de toute sa vie, — la seule chose que, dans cet univers dont il avait vu le dessus et le dessous, il regrettât de ne plus apercevoir encore, du fond ténébreux de sa cécité.

C’était l’heure touchante et solennelle où, tant de fois, sur le pont chancelant du navire, dans les mers où il avait passé, il avait adressé à la Vierge Marie cet Ave Maria du crépuscule