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d’avoir été ? Non ! Dieu lui-même, tout Dieu qu’il est, n’y pourrait rien ! Je ne voulais pas !… Et Vellini n’eut qu’à se montrer, une seconde fois, sur cette plage où je m’étais sauvé d’elle, pour me rejeter dans l’esclavage de cet asservissant passé, immortel comme la pensée, indestructible en nous quand on l’a vécu. Ah ! le passé, le tout-puissant passé ! Il semblait seul, réduit à sa seule force ; car Vellini n’y ajoutait pas la sienne. Excepté ce charme amer et consacrant des souvenirs, il n’y avait rien en elle qui pût balancer les dons de jeunesse, de beauté et d’amour qui fleurissaient dans Hermangarde, comme un merveilleux bouquet du ciel ! Elle, Vellini, n’était plus jeune. Chaque année, en passant sur elle, avait laissé son sillon. Il n’y avait pas un pli de ses traits, un repli de son âme, un duvet de son corps à la peau de bronze, que je ne connusse, qui ne fût gravé sur mes lèvres ou incrusté dans ma pensée… Pour moi, elle n’était plus qu’un être parcouru, possédé, fini, sans découverte et sans mystère. Et cependant, quand je la revis, quand je la trouvai, un matin, sur cette falaise où elle m’apprit qu’elle venait m’attendre ; quand je l’entendis me redire les choses mille fois entendues, les vieux refrains de toute sa vie, les auld songs de notre longue intimité, je me sentis réenveloppé dans je ne sais quel filet